Association du patrimoine artistique asbl

Guillaume Vogels (1836-1896)

Prolongation jusqu'au dimanche 12 juin


Guillaume Vogels, un peintre luministe

Vogels fait partie de ces peintres qui vers le milieu du XIXe siècle comprirent qu’il n’y avait rien à attendre de la peinture bourgeoise et eurent la bonne idée d’aller planter leur chevalet dans la nature, devant la mer, dans la campagne ou dans la forêt. Finis les sujets nobles, les intentions morales, les anecdotes piquantes, ils essayaient de rendre simplement ce qu’ils avaient sous les yeux et leur fascination pour la nature. À ces sujets nouveaux, Guillaume Vogels ajouta la représentation des rues de Bruxelles qu’il aimait rendre sous la pluie : Matinée pluvieuse, Temps de chien. Il se plaisait même à montrer les ruelles des quartiers populaires où il avait passé sa jeunesse, pas seulement sous la pluie mais aussi de nuit, éclairées par le seul quinquet d’un réverbère. Le premier, il a montré ces « strottjes de Bruxelles », indignes de faire un sujet artistique, qui faisaient un peu honte aux bourgeois rêvant d’une capitale faite de belles avenues, ce Bruxelles au pavé mouillé qui contribua à la mélancolie de Nerval, et qui fit tant horreur à Baudelaire.

Il peignit d’abord à la façon de Corot, sans précision excessive, avec un sens du résumé, et parfois même avec de beaux empâtements qui d’un trait résument un aspect du paysage ou de l’horizon. Déjà, dans les tableaux de cette période, il se dégage parfois une telle fraîcheur qu’on la ressent comme la rosée, en même temps que nous reviennent à l’esprit les parfums qui l’accompagnent. Ses paysages sous la neige sont si justes qu’ils réveillent en nous des émerveillements d’enfant. Pour rendre les brouillards et les effets lumineux ou atmosphériques qui l’intéressaient, Vogels se mit à utiliser une technique de frottis ou de coups de pinceaux ou même de coups de palette : ses peintures à partir d’une certaine époque contiennent des morceaux de bravoure où, avec une audace stupéfiante, il arrive à rendre un éclat de lumière d’un trait de couteau ou un brouillard par un frottis barbouillé. On imagine le succès qu’il rencontra dans les salons où l’on en était resté aux moutons de Verboeckhoven sous un ciel morne.

L’intérêt de Guillaume Vogels pour les phénomènes atmosphériques qui sont le véritable sujet de ses tableaux fait de lui un peintre moderne, mais n’en fait pas un Impressionniste. Il participe certes à une sensibilité nouvelle pour la lumière qu’on retrouve alors dans la musique et la poésie de son temps, mais à la différence de ses confrères parisiens, il ne pose pas côte à côte des couleurs différentes pour qu’elles produisent un effet optique à distance. C’est par la voie de l’observation et de la volonté du rendu qu’il en vient à inventer cette technique qui glisse subrepticement dans l’ellipse d’un frottis, d’une griffe, d’un barbouillis ou d’un aplat de coup de couteau pour rendre l’insaisissable. Et cette technique s’accorde particulièrement au rendu des spécificités du climat belge, toujours nuageux et mouillé. On peut parler d’un Luministe, et même d’un Luministe passionné, mais le terme Impressionniste, qui le met à la remorque d’un autre mouvement, laisse échapper son originalité.

Vogels eut quelques clients collectionneurs assidus dont un biscuitier qui possédait quelque 160 œuvres de lui. Pour le reste, il gagnait sa vie en étant peintre en bâtiments et fonda une entreprise de décoration où certains de ses amis peintres travaillèrent à ses côtés, notamment un peintre d’origine grecque, Périclès Pantazis. Cela ne l’empêcha pas d’exposer au Groupe des XX.

Nous devons aux recherches enthousiastes de Constantin Ekonomides le rassemblement des tableaux de cette exposition dont certains n’avaient plus été montrés depuis longtemps. Venu de Grèce à dix-huit ans, avec une mère enseignante à l’Ecole Européenne, il a fait ses études d’Histoire de l’Art à l’ULB et, intrigué par l’existence d’un peintre grec ayant fait carrière à Bruxelles, il consacra un mémoire à Périclès Pantazis, s’intéressa évidemment à Vogels, et se plongea ainsi dans les courants artistiques qui ont animé la seconde moitié du XIXe siècle. Constantin Ekonomides a organisé au Musée Charlier une série d’expositions et de publications sur les peintres de cette période dont il est devenu un des meilleurs spécialistes. Il poursuit ses recherches dans le cadre de l’Association du Patrimoine artistique. Il est l’auteur d’un livre sur Vogels qui paraît aujourd’hui aux éditions La Bibliothèque de l’Image à Paris.

Après l’exposition Albert Philippot, celle que nous dédions à Vogels constitue une deuxième et plus ambitieuse incursion dans le passé, assortie de recherches et d’une publication. À côté de l’attention que nous portons à la création contemporaine, et du temps que nous passons à monter des expositions avec des artistes actifs à Bruxelles, chacun des membres de l’équipe se consacre à des recherches et des publications vouées aux artistes du passé. La fréquentation des artistes d’aujourd’hui nous aide souvent à comprendre les conditions de la création d’autrefois, et cet échange entre présent et passé qui dissipe les barrières du temps nous aide à faire revivre avec la même actualité les préoccupations d’artistes disparus, à présent oubliés ou méconnus.

L’association du Patrimoine artistique ne poursuit aucun but lucratif, elle accueille les amateurs d’art, cherche à partager des enthousiasmes et des découvertes. Si vous souhaitez encourager ses recherches, ses expositions et ses publications, vous pouvez soutenir ces activités par une contribution.

Nous remercions chaleureusement les collectionneurs qui ont prêté leurs œuvres, rendant ainsi possible cette exposition.


Pierre Loze
Avril 2011


Dans la plénitude de son talent, Guillaume Vogels se révèle le peintre du climat nordique, des ciels plombés, de la lumière mouvante. Dans ses paysages, ses vues de ville, ses marines, la richesse de sa palette de gris colorés, la vigueur de la touche, la spontanéité ferme des empâtements dégagent une émotion première qui déplace les frontières du sujet et en accentue l'expressivité. Son oeuvre tranche sur le naturalisme descriptif de l'époque par une étonnante nouveauté.

Après une brève formation, à l’Académie des beaux-arts de Bruxelles (1850-1853) et dans l’atelier de peinture des frères Bellis, Vogels est attiré par la peinture de plein air. Ainsi en 1872, il rejoint les paysagistes de l’école de Tervuren. En 1876, il peint des études sur le motif à Ostende et à Bruxelles. À travers ces pochades d’un format presque toujours identique, pleines de verve et de poésie, l’artiste ne cesse de renouveler son vocabulaire artistique : plans rapprochés, tons saturés, touches prestes et enlevées, jeux de matière à l’aide du couteau. On ressent déjà les prémices d’une peinture nouvelle, qui cherche à s’affranchir du motif pur et simple.

En 1879, il se lie d’amitié avec James Ensor et Jan Toorop. Dès 1884, il participe aux expositions du groupe des XX en compagnie de Cézanne, Monet, Renoir, Gauguin et Van Gogh. De 1880 à 1890, se déroule la période la plus heureuse et la plus féconde de l’artiste. Pendant ces dix années, Vogels peint tour à tour en Forêt de Soignes, aux environs de Bruxelles, et au littoral belge. Il réalise ainsi plus de soixante-dix tableaux dont certains comptent parmi les chef-d’œuvres de l’artiste comme Avant la pluie, Crépuscule sur la mare, Ixelles jardin sous la neige, La rue des Pigeons, Plage à Ostende, Coucher de soleil sur la neige.

L’exposition présenteune sélection des œuvres majeures de l’artiste, réalisées entre 1880 et 1890. La plupart de ces œuvres sont à ce jour inédites, et proviennent de collections privées, tant en Belgique qu’à l’étranger. Ce choix nous a permis d’une part, d’avoir un regard approfondi sur un moment décisif de sa carrière : de la maîtrise de ses moyens d’expression à la plénitude de son art, et d’autre part, de mettre en évidence son influence sur toute la jeune génération d’artistes de l’époque tels qu’Ensor, Pantazis, Khnopff, Van Rysselberghe, Finch. Dans cette perspective nous avons voulu apporter notre modeste contribution sur un fait relativement méconnu du grand public : le rôle de précurseur de Guillaume Vogels dans l’avènement de l’art moderne en Belgique.

Constantin Ekonomides
L’exposition sera accompagnée d’une monographie publiée, par les éditions parisiennes :

Bibliothèque de l’Image
Guillaume Vogels (1836 – 1896)
290 x 250mm, 89 pages,
87 illustrations en couleurs
Prix de vente : 10 €