Association du patrimoine artistique asbl
Peinture
Louis Thévenet 1874-1930
La vie est là, simple et tranquille
Exposition du 25 février au 3 avril - commissaire C.Ekonomides
On pénètre dans les tableaux de Thévenet comme on entre chez soi, en poussant la porte d'une maison familière. Ils nous introduisent dans un monde silencieux et apaisé fait d'humbles objets de la vie de tous les jours. Des intérieurs bien rangés, une vieille armoire, un portemanteau...
Nous vous accueillons avec plaisir et avec les précautions en vigueur : maximum 6 visiteurs en même temps dans notre espace d’exposition. Réservation recommandée par mail, as.pat.art@gmail.com - par téléphone au 02 512 34 21.
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Nous connaissons le geste qu'appellent ces objets, ils se passent d'explication et d'ailleurs nous devinons sans peine ce que contiennent ces armoires. Ce mobilier sans prétention qui sert depuis toujours raconte simplement l'intimité et le temps qui passe. Les tons sans éclat et doucement accordés participent à l'impression que procure cet art bien médité. Ce regard sur la maison sagement en ordre, où l'on entend le tic tac de la pendule, et que le poêle tient bien au chaud, est apaisé : une Vierge sous un globe y veille. Quelques bibelots sur une table, une armoire laissée entrouverte, un tiroir qu'on a oublié de fermer, et parfois la fenêtre elle aussi ouverte par une journée d'été. Mais qui était ce peintre? À cette époque où l'art et la critique n'avaient que les grands sujets et le mot "noble" à la bouche, comment a-t-il pu ainsi, au contraire, bâtir si délibérément le sien sur un univers si modeste et si tranquille. Avait-il lu les poètes Guido Gezelleou Max Elskamp ? Le trésor des humbles de Maeterlinck ? Verlaine : La vie est là simple et tranquille / Un arbre par-dessus le toit berce sa palme...? Ou encore, simplement, les vers du plus grand poète de son temps, le premier qui eut l'idée de consacrer un poème à un buffet ? Il y avait dans l'art de Thévenet une farouche volonté de tourner le dos à une conception d'un art bourgeois "élevé" et "raffiné" qui nous échappe un peu aujourd'hui. Sans en faire un grand révolutionnaire, elle fait de lui un artiste particulièrement attachant.
Pierre Loze
Le silence intérieur
Qui regarde encore les scènes de plage ensoleillées du post-impressionniste Frans Smeers ? Les puissants personnages de Maurice Wagemans, les paysages d'Alfred Bastien ou les scènes d’intérieur de Franz Van Holder ? Et qui connait encore Jehan Frison ? Même des noms comme Auguste Oleffe ou Willem Paerels sont lentement tombés dans l’oubli. On dirait que seul Rik Wouters représente aujourd'hui – après plus d’un siècle – l'art de son temps, occasionnellement en compagnie d'un Tytgat ou d'un Brusselmans. Néanmoins, l'explosion de la peinture belge à la veille de la Première Guerre mondiale a produit de nombreuses autres figures intéressantes, qui reçoivent rarement l’hommage d'une exposition. Prenez par exemple le bruxellois Louis Thévenet (1874-1930).
Par bonheur, ce jeune artiste s'est trouvé au milieu de l’effervescence de la capitale belge au tournant du siècle dans laquelle se sont tenues les prestigieuses expositions annuelles des Vingt et plus tard de La Libre Esthétique, où les artistes rencontrent un public averti d'intellectuels, de critiques et de collectionneurs. Des cercles artistiques tels que Le Sillon et Le Labeur y étaient actifs – c’est ce dernier que Thévenet allait rejoindre. Un -isme a suivi l'autre : le réalisme s’est tourné vers le symbolisme, l'impressionnisme s’est fondu dans le pointillisme et bientôt le fauvisme prendra le relais. Au même moment, une nouvelle société était en construction. Un des lieux où se refaisait le monde dans un esprit plus révolutionnaire, était la maison Beethoven, boutique de l'éditeur de musique Oertel, rue de la Régence. Là, musiciens, écrivains et peintres ont discuté de l'anarchisme, de l'amour libre et du végétarisme. Le frère aîné de Louis, Pierre y travaillait, et Louis lui-même y trouva un emploi – il avait auparavant été boulanger et cuisinier lors de ses voyages au long cours. À son retour à Bruxelles, il a commencé à peindre en autodidacte. Ce n'est qu'occasionnellement qu'il prit des leçons – avec son aîné Auguste Oleffe, comme Rik Wouters et Jean Brusselmans.
C'est ainsi que la vie de peintre de Thévenet a commencé. Il se contentait de peu pour être heureux : de la toile et de la peinture, une promenade dans la banlieue verdoyante de Bruxelles, un seul critique qui suivait ses activités avec sympathie, René Lyr, et un mécène qui lui achetait de temps en temps une de ses œuvres, François Van Haelen, brasseur de faro et de lambic, mais aussi collectionneur d'art ... Et de temps en temps lors d’expositions collectives organisées par La Libre Esthétique (en 1906, 1908 et 1912), Thévenet y montrait quelques œuvres. À la prestigieuse galerie de Georges Giroux, il fera son exposition personnelle en 1913. Son art ensuite tombe dans l’oubli.
Thévenet, à tort trop peu connu, a construit une œuvre cohérente et idiosyncratique, dans laquelle les intérieurs simples forment l’essentiel. C'est dans cette suite de tableaux que l'on retrouve sa véritable signature : un idiome très personnel de thèmes, de formes et de musicalité. Ce n'est pas un hasard si ce dernier terme me vient à l'esprit lorsque j'erre parmi ses œuvres : dans ces maisons, il n’y a pas un bruit comme si leurs habitants venaient de sortir et que les objets y devenaient orphelins. Un bâton de marche, une farde de dessin et un tiroir ouvert suggèrent des messages secrets pour les initiés. Souvent le regard passe d'une pièce à l'autre comme dans un intérieur hollandais de l'Âge d'Or. Et pourtant Thévenet a peint sur toile avec des traits rugueux, presque enfantins et naïfs. Aucun humain n'entre en scène ; parfois apparait un personnage de dos.
Plus que les histoires et les anecdotes possibles, ce que le peintre retient du monde : la tranquillité, la simplicité et une lumière un peu poussiéreuse dont Thévenet drape soigneusement les choses. C'est ainsi qu'il nous montre le silence.
Eric Min