Association du patrimoine artistique asbl

Martine Janta et Philippe Brodzki




Originalité, singularité, obstination : la carrière et l'œuvre de Philippe Brodzki se déroulent depuis quarante ans en dehors des grands mouvements qui balisent l'art contemporain, avec une continuité fascinante. Beaucoup de créations d'artistes actuels procèdent d'un contexte culturel et d'un système d'idées et de signes auxquels ils participent et qu'ils alimentent en même temps.

Rien de semblable avec les sculptures de Philippe Brodzki. Nous entrons dans un univers totalement personnel dont les références possibles ne peuvent se trouver que dans des époques vertigineusement lointaines de la nôtre: civilisation précolombienne ou chinoise, Sumer, Grèce archaïque, etc. Rien qui puisse nous rassurer dans un système de goût moderne et conforter l'image de la société d'aujourd’hui.

L'effet de choc et d'étrangeté de cet art, bien actuel, n'en est que plus puissant, nous faisant ouvrir de grands yeux innocents, créant parfois un sentiment d'inquiétude, voire de rejet au premier abord. C'est que l'expression charnelle de cet art et son discours sur le corps et l'animalité se trouvent, eux aussi, bien loin des représentations et des canons auxquels nous sommes accoutumés. Philippe Brodzki nous parle d'une autre beauté qui se nourrit des souvenirs des Kouros et Korè du VIe siècle grec avant J. C. Comme des allégories de nos désirs enfouis, ses cavaliers déboulent de steppes lointaines dont l'Europe a craint si longtemps les grandes invasions. Ses portraits évoquent des monarchies disparues, prêtes à renaître. Ses monstres animaux ont un parfum de mythologie orientale qui suggère des accouplements réservés aux dieux seuls. Et pourtant les guerriers ou les femmes nues, qui chevauchent si pudiquement leur monture, sont troublants de présence charnelle et de candeur. Et cette innocence, nous la retrouvons à tout instant, au gré d'un hasard, parmi les êtres qui nous entourent dans ce monde à peine plus rassurant qui est le nôtre. Cet art évoque une humanité éternelle et un monde sans âge, celui de la jeunesse et de la cruauté du désir...

Une longue complicité artistique lie Philippe Brodzki à Martine Janta qu'il a invitée à exposer à ses côtés. Avec cette même obstination, elle s'est attachée à des portraits d'animaux qui font un écho au bestiaire universel où nous emmène Philippe Brodzki.

Pierre Loze

Il y a longtemps que je regarde les statues de Philippe Brodzki et toujours elles me transportent dans ces mondes si lointains et si terrestres à la fois. La terre dont elles sont faites leur donne cette présence. Une terre, la plupart du temps recouverte d’émaux, des émaux choisis avec un savoir-faire né de l’enseignement de plusieurs maîtres, techniques japonaises mais aussi de la science d’un Mirceo Orlandini dont Philippe a longtemps fréquenté l’atelier.

Aux sources de son art, il y a d’abord une enfance particulière: l’atelier d’une modiste qui invente, puis réalise ses propres créations pour les élégantes de Bruxelles, sa mère, cette méridionale exubérante, dont l’atelier est jonché de velours, feutres, soies, rubans et moules en bois pour leur donner leur forme. C’est au milieu du désordre de l’atelier que Philippe voit s’ouvrir son propre chemin. Ensuite, il y a une grand-mère paternelle bienveillante qui travaille dans ce bouillonnant lieu de rencontres qu’est alors le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles : il y assistera à d’exceptionnelles réunions d’artistes contemporains internationaux, y compris ceux du Pop Art et de l’art conceptuel naissant, des œuvres de grands noms défileront sous les yeux de Philippe. C’est dans cette ambiance qu’il fait la connaissance de Marcel Broodthaers, encore loin d’être reconnu mais soutenu par sa grand-mère et son oncle - l’architecte Constantin Brodzki - tant ils sont conscients de son talent. Fréquenter les Broodthaers, Marcel, femme et enfants, laisse des traces… Reconnaissant à la famille Brodzki, Broodthaers entraîne Philippe dans son atelier à Düsseldorf où il rencontre Joseph Beuys dont il suivra les cours dans la célèbre académie.

Un parcours peu commun où Philippe puise ce que bon lui semble. C’est finalement à Bruxelles qu’il s’installe dans un atelier de la rue Wiertz où il va passer une vingtaine d’années à créer ses sculptures, toujours à la recherche de nouveaux thèmes et d'effets, s’essayant avec les fours des uns et des autres, avant d’avoir les siens lorsqu’il s’installe rue Gray. L’art du céramiste est un long combat avec le feu. La recherche d’une maîtrise parfaite pour un art qui peut sembler modeste mais qui aboutit à des œuvres magnifiques.

Sur les traces de Jean de Bologne, Philippe sera aussi tenté par la fonte du bronze, il fréquente alors les fonderies renommées de Pietrasanta. Pour un sculpteur, l’art du bronze et sa patine et en même temps la possibilité de réaliser des éditions, est forcément fascinant, mais c’est toujours à la terre que Philippe revient car elle reste pour lui un terrain d’expériences et de découvertes d’effets nouveaux qui enrichissent subtilement son art d’années en années.

Philippe a appris très jeune la fidélité en amitié, celle qu'il entretient avec Martine Janta remonte à de nombreuses années. Que de convivialités partagées, mais aussi de moments de travail dans les mêmes ateliers. Etudiante à la Cambre, puis épouse d'un collectionneur acharné, Martine s'est très vite remise au dessin, exposant souvent avec Philippe le fruit de ses dernières recherches. Cette fois, ce sont de nouveaux visages qui apparaissent dans ses traits de fusain, les portraits de ceux qu'elle a découvert en s'installant dans une ancienne chapelle, transformée en bergerie,au milieu des vignes et des oliviers dans cette belle campagne au sud de Sienne.

Dominique Vautier