Association du patrimoine artistique asbl

Le jardin sauvage et l'origine du monde

Paul de Gobert

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Fils d'un couple d'artistes peintres, Paul de Gobert a appris dès l'enfance la maîtrise du dessin et de la peinture. Il les utilise comme langage pour exprimer sa vision du monde, et partager son goût pour la vie et la nature, et sa conception écologiste de l'environnement. Il s'est fait connaître très jeune comme peintre muraliste. Il a peint notamment sur les murs de la station de métro Vandervelde à Woluwé, un immense paysage de 800m2 évoquant le thème des quatre saisons. La peinture murale et la maîtrise du trompe-l'œil dans l'art monumental l'ont conduit à un dialogue avec le passant et sa peinture de chevalet reprend la même attitude avec le spectateur, en évoquant le monde qui nous entoure, sa beauté, le respect et l'attention que mérite la nature. Le sort des abeilles inquiète d'ailleurs plus Paul de Gobert que le souci de trouver une écriture ou un style personnel, l'ambition de se positionner dans les cercles de l'art ou encore la volonté de manifester son ego d'artiste créateur. Il trouve dans son environnement immédiat les sources d'un enchantement de chaque jour qu'il cherche à transmettre et partager. C'est avec les grands peintres du passé qu'il se mesure, tout en cherchant un langage de son temps. Au cours d'un hiver rigoureux, comme celui que nous venons de traverser, il peint à plusieurs reprises son jardin sous la neige, ou les flammes du feu dans la cheminée. Avec le printemps, il s'installe sous un parapluie et prend pour sujet les pommiers dont les fleurs éclosent, ou le vert tendre de jeunes pousses qui se montrent. Avec l'été, chaque pomme de son jardin lui lance le défi d'un portrait. Promeneur infatigable, il part aussi dès l'aube, avec son carnet et ses aquarelles, et peint le petit bois sauvage qui avoisine sa maison, ou les arbres de la forêt de Soignes. Il parcourt les chemins du Kauwberg à travers les prés perlés de rosée et dessine les herbes et fleurs des chemins, prenant aussi en amitié l'ortie ou la ronce. Il fait de même des visages de ses visiteurs, se faisant volontiers portraitiste. Grand voyageur, il pratique la même curiosité à l'égard des pays proches ou lointains qu'il traverse. Son livre Visages de Mongolie en témoigne, auquel répondent sa Traversée de Bruxelles ou son Guide de promenades vertes aux alentours de Bruxelles, expériences du voyage d'ici ou de là-bas, manifestation d'un art qui ne s'enferme pas dans lui-même, mais qui trouve les chemins de traverses pour nous ramener au monde.


Comme chacun le sait, les natures mortes représentant des pommes sont un thème très présent dans l'art moderne. On connaît moins les circonstances dans lesquelles ce thème a pris cette importance.

A l'issue de la Commune de Paris, le peintre Gustave Courbet fut emprisonné et accusé d'avoir été l'instigateur du démontage de la colonne Vendôme. Enfermé dans la prison de Sainte Pélagie, n'ayant plus de modèle vivant à sa disposition, l'auteur de L'origine du monde s'attacha alors à peindre simplement des pommes. Dans le contexte de la terrible répression qui venait de s'abattre alors sur le peuple de Paris, ce sujet prit une signification particulière. Les natures mortes du XVIIe siècle se plaisaient en effet à représenter des fruits rares et des objets précieux. L'attention apportée à ce modeste fruit très commun, à la portée de tous, acquit une force allusive extrêmement forte. S'y ajoutait tout le poids de la légende née de l'interprétation biblique (1) : la pomme est le symbole de l'acte sexuel, un emblème de la liberté prise sur l'autorité, elle est aussi un symbole de la connaissance et de la liberté, elle est encore un symbole de la femme. Ses variétés en font même celui de la diversité des espèces humaines et de l'aspiration à l'égalité.

Pour les artistes novateurs qui avaient vécu par deux fois la répression bourgeoise des élans démocratiques (en 1848 et 1870, environ trente mille morts chaque fois), l'espoir de voir la société bourgeoise évoluer par une révolution démocratique s'était évanoui. Mais, la force allusive et l'influence d'un art novateur sur le mouvement des idées pouvaient peut-être encore faire bouger les esprits. En Belgique, des peintres anti-académiques issus de milieux modestes, comme Guillaume Vogels, Périclès Pantazis, Jean-Baptiste De Greef, ou les frères Bellis peignirent à leur tour de simples pommes, les prenant à la fois comme sujet de leurs préoccupations plastiques, mais aussi comme symbole idéologique. En France, à côté des Fantin-Latour et autres, c'est Cézanne qui, en représentant les pommes avec une sorte d'objectivité structurelle, réussit à en faire un symbole radical qui, au-delà du souvenir de Newton, plaidait pour la compréhension d'un monde objectif dont la philosophie grecque avait eu l'intuition, et dont les sciences exactes étaient en train de jeter les fondements.

(1) La Bible n'évoque que le fruit défendu. Traduit du grec en latin, ce fruit devint malum, la pomme, si proche de malus, le mal que l'interprétation s'empara de cette assimilation


Paul De Gobert s'est intéressé à ses rêves: d'abord, par un travail d'écriture et de dessin au réveil, il a augmenté sa capacité de s'en souvenir et d'en capter les simultanéités par le dessin. La fréquence et la force de ceux-ci ayant été ainsi fortement accrue, il a ensuite commencé à dessiner dans l'obscurité ou la pénombre, au moment du réveil qui suit immédiatement le rêve, en se laissant guider par l'énergie produite par lui. Dans le noir, dans un état de demi sommeil, il dessine avec les deux mains, sans voir vraiment ce que ses crayons tracent, devinant à peine l'image qui se dessine, faisant confiance à ses mains. De ce griffonage sortiront des images qu'il ne découvre qu'ensuite, au lever complet du jour, et qu'il nous livre sans les retravailler. Il est évident que le fait d'avoir dessiné depuis l'enfance et d'avoir développé le dessin comme un langage qui va de soi permet que se produise ce processus qui s'appuie en grande partie sur la maîtrise de l'expression jusqu'à l'existence d'automatismes. Il met en jeu les parties inconsciente du cerveau et repose non sur la conscience ou la volonté, mais sur les sensations très fortes ressenties au cours du rêve. Ces desins arrivent ainsi à rendre compte de façon très convaicante des condensations de sensations et des contiguités spatiales et temporelles qui caractérisent les rêves. Les traits unissent dans une matière chevelue les visages et les formes de la nature, suggérant de façon troublante les impudeurs ou les naïvetés du rêve. Ces songes se mêlent dans une sorte de feu et semblent partir en fumée. Les visages des morts se mêlent à ceux des vivants et qui connaît personnellement les proches de l'artiste les y reconnaît. Ce n'est certes pas la première fois qu'un artiste essaye de représenter ce qu'il a vu dans ses rêves, ou de s'inspirer des ambiances si particulière qui les caractérisent, mais ici, la technique mise au point pour en capter au plus près l'énergie et les suggestions et l'expression du désir est assez originale. S'il nous fallait, au delà de Courbet et des pommes, trouver une justification au titre de notre exposition, sans devoir citer Freud, c'est bien dans ces troublants dessins que nous la trouverions.